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Témoignage : Maxime SAWADOGO

Maxime SAWADOGO

Promotion : 2018-2019

Parcours : Urbanisme et Expertise Internationale, Option Villes des Suds

1 - Comment avez-vous choisi votre filière d'études et pourquoi ?

Le choix de ma filière d'étude est né de la cristallisation d’une frustration conservée depuis la tendre jeunesse. En effet, quand j’étais au lycée en classe de sixième, mon père avait construit une maisonnette de douze mètres carrés dans un quartier non-loti (quartier d'habitats informels) dénommé Tambella dans la ville de Koupéla au Burkina Faso. Mon frère et moi avions alors établi domicile dans cette maisonnette, loin des services urbains de base (eau, électricité, assainissement…). L’objectif était d’être recensé en cas d’opération de lotissement et de pouvoir bénéficier ainsi d’au moins une parcelle.

Cependant, à cause du manque de moyens de la collectivité et de querelles internes dans le quartier, cette opération ne fut jamais réalisée. Ainsi, avec ma famille, nous sommes restés en location et au regard du revenu assez faible d’un fonctionnaire moyen de l’époque, les conditions de vie de ma famille étaient assez dures. Je me suis donc dit que quand je deviendrai plus grand, j’allais lotir le quartier Tambella pour que nous puissions bénéficier de parcelles afin d'y ériger notre logement familial, sans même savoir que le métier auquel j’aspirais par ce fait, était celui d'un urbaniste.

C’est en discutant avec mes professeurs que j’ai découvert la dénomination exacte. Cependant, aucune école au Burkina Faso n’offrait cette formation à cette époque. Le seul moyen d’y parvenir était de réussir au concours d'entrée à l'Ecole Africaine des Métiers de l'Architecture et de l'Urbanisme (EAMAU). L’ensemble de mes études était donc orienté sur le perfectionnement dans les matières scientifiques afin de réussir à ce concours quand le moment serait venu.

J'ai pu intégrer l'EAMAU en 2014 et j’ai consacré mon mémoire de licence à une proposition de solution d'aménagement pour mon quartier d'enfance, Tambella. Cette expérience, aboutissement d'un rêve personnel a consolidé ma passion pour l'urbanisme et surtout pour la recherche urbaine.

Ce qui m’a poussé à faire un master 1 de recherche à l’Université Rennes 2 intitulé DYSATER (Dynamiques Sociales, Aménagement et TERritorialités) que j’ai achevé par la production d’un mémoire sur l’analyse du rôle des acteurs urbains dans le processus d’urbanisation de la ville de Ouagadougou. Durant mes recherches pour la production de ce mémoire, j’ai découvert les très intéressants travaux de Sylvy Jaglin sur Ouagadougou. Je me suis alors beaucoup intéressé à ses travaux et à son parcours. C’est par là que j’ai découvert le Master 2 Urbanisme et Expertise Internationale de l’EUP qui m’a tout de suite accroché. Néanmoins j’étais toujours hésitant au regard des conditions de vie à Paris.

Le déclic est venu d’un séminaire de recherches que j’ai suivi à l’université de Rennes 2, avec la présentation d’une étude portant sur la balade du chien dans l’espace périurbain comme médiateur de sociabilité, pertinent dans le contexte européen. Mais j’avoue que ça m’a un peu choqué car chez moi au Burkina Faso, on ne balade pas vraiment les chiens mais ces derniers se baladent seuls. En un instant, je me suis demandé en quoi je serai réellement utile à mon pays par de telles recherches. J’ai senti globalement un grand décalage entre ce que je suivais dans ce séminaire et mes aspirations profondes qui incluaient notamment un projet de thèse mais axé réalités urbaines au Burkina Faso. C’est alors que j’ai pris la ferme décision d’intégrer l’EUP au sein du Master Urbanisme et Expertise Internationale, Villes des Suds, nettement plus en adéquation avec mes réalités et mes aspirations, mais aussi avec l’ambition de réaliser un projet de thèse en bénéficiant de l’encadrement d’une spécialiste de l’urbain au Burkina Faso en la personne de Sylvy Jaglin.

2 - Quel a été votre parcours à l’EUP ?

A l’EUP, j’ai fait un Master 2 en Urbanisme et Expertise Internationale, Option Villes des Suds. Durant l’année de mon master, j’ai fait un stage de six mois au sein de la représentation du Gret au Burkina Faso, dans le projet Pépinière Urbaine de Ouagadougou (PUO). J’ai soutenu mon mémoire en octobre 2019, sur l’urbanisme transitoire de la PUO. Par la suite, je suis rentré au Burkina Faso où j’ai été employé comme chargé de suivi- évaluation-capitalisation au sein du même projet PUO.

3 - Quels sont les cours, les ateliers, les projets qui vous ont le plus marqué durant vos études ?

Je commencerai par les cours en anglais que j’ai beaucoup aimés notamment « Cities: Emerging Issues and Challenges ». Durant ce cours, un tout d’horizon international a été fait sur les questions de « SLUMS », un sujet qui me passionne et de surcroit, les aborder en anglais avec les ressources documentaires y afférents, personnellement c’était une redécouverte. Il faut le dire, jusque-là, je n’avais pas encore véritablement exploité une base de recherches en anglais pour mes travaux. Je découvrais donc dans ce cours, un ensemble de recherches en anglais particulièrement riches sur les questions urbaines. Après ce cours, j’ai adopté le réflexe de mobiliser dans mes recherches autant de ressources en français qu’en anglais.

Le cours sur « Services urbains » m’a beaucoup marqué de par la richesse des études de cas proposés portant sur plusieurs pays des Suds, avec une synthèse globale qui permettait de voir les similitudes sur des espaces géographiques différents mais aux réalités urbaines similaires. Du monopole de certains services urbains, je découvrais comment dans d’autres pays, ils arrivaient à de meilleurs résultats avec des services urbains nettement plus décentralisés notamment sur l’eau, l’énergie facilités par les moyens de paiement mobile. Ce qui me permettait d’ouvrir ma réflexion à l’exploration de systèmes alternatifs ou hybrides de fournitures des services urbains notamment au Burkina Faso. Au-delà, j’ai appris à analyser ces éléments à partir du rôle des acteurs et de leurs logiques d’action. Ces compétences ont été consolidées par le cours sur « Analyse territorialisée des systèmes d’acteurs » et j’avoue que j’aurai bien aimé suivre ce cours bien en amont, pour mieux comprendre d’autres cours que j’avais suivi au tout début.

Le cours « Informalités urbaines » m’a égalementmarqué parce qu’il s’agissait de la thématique qui m’intéressait le plus car je ne pouvais m’empêcher de penser à mon quartier d’enfance (Tambella). Un des exemples abordés également dans ce cours concernaient un quartier à Lomé (TOGO), ville que je connaissais très bien. Je me retrouvais donc pleinement dans toutes les analyses et les descriptifs effectués.  

Ensuite, je poursuivrai par les cours « Ville et environnement » et « Mobilités et transports ». Le premier a eu le mérite de forger mon esprit critique par rapport aux discours qui enjolivent l’économie circulaire en occultant les mécanismes de vulnérabilisation et de paupérisation de certaines couches sociales souvent dans un contraste très genré. J’ai pu constater comment se sont opérés les changements des discours d’atténuation à ceux d’adaptation. J’ai surtout appris à dissiper la fumée apparente de ce qu’on me montre, pour mieux cerner au-delà, les intérêts en jeu dans ces questions environnementales. Aujourd’hui encore, je suis activement des chaînes YouTube comme Thinkerview avec des interviews intéressants sur ces questions et je revois à chaque fois des analyses qui m’avaient été posées en classe.

Sur les questions de transports et mobilités, l’étude de cas sur les BRT de Curitiba présenté par Nacima Baron m’avait beaucoup accroché surtout en ces limites. Le BRT est un sujet en vogue actuellement à Dakar, et à Ouagadougou avec un grand projet en cours sur la mobilité urbaine du Grand Ouaga. J’ai puisé dans les limites du BRT de Curitiba pour requestionner la pertinence de certains paramètres du BRT de Ouagadougou en gestation.  

Enfin je finirai par le voyage d’étude dans le cadre de l’atelier professionnel. Je retrouvais une méthode de travail utilisée dans mon ancienne école à Lomé (EAMAU). Les ateliers étaient pour nous de véritables cadres d’apprentissage et de mise en pratique de l’ensemble des notions théoriques reçues. L’atelier que nous avons effectué portait sur la proposition de pistes de solutions pour l’intégration urbaine, sociale et environnementale du quartier d’habitat spontané de Chekepatty à Saint-Laurent du Maroni en Guyane.

En intégrant le master de l’EUP, je ne m’attendais absolument pas à voyager en Guyane ni à découvrir des quartiers informels de cette envergure dans cette géographie à l’autre bout du monde. Ce fut un voyage d’étude qui m’a vraiment ouvert à la pratique de l’urbanisme à l’international. Je me suis dit : tiens ! Je peux pratiquer l’urbanisme dans beaucoup de pays dans le monde ! Et je n’étais pas au bout de ma surprise car j’ai même trouvé un compatriote qui travaillait à Saint Laurent du Maroni comme architecte au sein de la Société d’Economie Mixte du Nord-Ouest Guyanais (SENOG). Ce fut véritablement un atelier très bien préparé, bien encadré, une très belle expérience dont j’en garde un souvenir très vif et agréable !

Au-delà des cours, je vais faire un focus pour apprécier le corps enseignant de l’EUP, des experts passionnés dans leurs domaines respectifs qui ont su me transmettre leurs passions à travers leurs cours. Par ailleurs, l’efficacité et l’écoute du personnel de l’administration m’ont aussi marqué notamment le bureau d’aide à l’insertion professionnelle. Ils étaient toujours à l’écoute, vifs dans la communication et dans la réaction, prompt à nous assister dans nos démarches scolaires et surtout dans la recherche des stages. Et même après la fin des études, ils effectuent des sondages pour étudier et évaluer le niveau d’insertion professionnelle de leurs étudiants. C’est un suivi qui à mon avis, apporte une belle plus-value à l’EUP.

4 - Quel emploi occupez-vous actuellement ?

Disons qu’actuellement je fais beaucoup de choses à la fois. Je suis associé-gérant d’un bureau d’études urbaines et d’une société de promotion immobilière au Burkina Faso. Je travaille également comme urbaniste auprès de la mairie de Ouagadougou. Par ailleurs, je suis enseignant vacataire auprès de cinq universités à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Je donne des cours sur des matières spécifiques en urbanisme et aménagement, de même qu’en design d’espaces. J’ai l’opportunité par ce canal, de participer à la formation des tous premiers urbanistes Made In Burkina Faso, au sein de l’Université Aube Nouvelle de Bobo-Dioulasso. Je suis également en train de finir ma troisième année de doctorat à l’université de Koudougou. Mes recherches portent sur l’analyse de l’impact d’une politique d’urbanisme évènementiel (organisation tournante des festivités de la fête de l’indépendance) sur le développement des villes moyennes au Burkina Faso. Par ailleurs, je suis artiste musicien, et cette année j’ai bouclé mon quatrième album constitué de onze titres. N’hésitez pas à saisir #Maxime SAWADOGO sur Youtube, vous tomberez direct sur ma chaîne. 

5 - Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

Il y’a deux éléments essentiels qui me plaisent énormément dans mon métier. Le premier est relatif à la satisfaction de constater que les actions que je mène dans le cadre de mon métier, quand elles aboutissent contribuent à apporter une amélioration aux conditions de vie des populations. J’ai toujours aimé le contact permanent avec le terrain, la proximité et l’écoute permanente. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai beaucoup aimé le concept d’urbanisme participatif qui m’a réellement ouvert à cette culture du dialogue, de la négociation, de l’écoute et surtout du pragmatisme qui ont fortement remodelé ma façon de voir les choses et de pratiquer l’urbanisme. Au-delà, c’est surtout la notion d’impact que je veux mettre en exergue car j’ai toujours eu ce retour réflexif et introspectif sur ce que je pouvais réellement apporter à ma société. A travers l’urbanisme, je m’y retrouve pleinement.

Le deuxième élément qui me plait dans mon métier, c’est la polyvalence. Personnellement j’ai toujours été un touche à tout depuis mes années sur les bancs. Et de nos jours, j’exerce un métier où j’ai l’opportunité de toucher également à tous les domaines, santé, éducation, équipements, transports, mobilités, espaces verts, logements, sports, bref tellement de thématiques diverses et variées. C’est très enrichissant et ça cultive continuellement ma curiosité et mon esprit de recherche.

6 - Quels conseils donneriez-vous aux étudiant.es actuel.es et futur·es de l’EUP ?

Aux futurs étudiants de l’EUP, je leur demanderai prioritairement de s’interroger sur l’impact qu’ils veulent avoir à travers leur futur métier d’urbaniste. Je les exhorterai à ne pas juste considérer le métier d’urbaniste comme un gagne-pain mais d’aller au-delà pour en faire un moyen pour contribuer à améliorer la vie des citadins où qu’ils soient dans le monde. Et je me rappelle en ce sens qu’un ancien urbaniste burkinabè, avec plus de 50 ans d’expérience me disait à chaque fois que l’urbanisme est un métier social par essence.

Ensuite je les inciterai une fois qu’ils auront obtenu leur Master à contribuer à la formation d’autres urbanistes à travers toutes les actions et initiatives possibles qui peuvent être déployées.

7 – Que pensez-vous que le Master 2 a apporté à votre trajectoire professionnelle ?

Le Master 2 de l’EUP a véritablement conduit à mon insertion professionnelle. Durant l’un des cours de ce Master, j’ai fait la connaissance d’un professionnel du Gret qui est intervenu dans notre formation pour nous donner des rudiments en termes de montage de projets à l’international. Dans les échanges, il s’est avéré que ce dernier travaillait sur un projet d’urbanisme transitoire (Pépinière Urbaine) à Ouagadougou. Il nous a partagé par la suite une offre de stage à laquelle nous avons candidaté. J’ai eu l’opportunité d’être retenu et c’est ce qui m’a permis de réaliser six mois d’immersion professionnelle au Burkina Faso au sein de la représentation locale du Gret. A la fin de ce stage, j’ai bénéficié d’une offre d’emploi au sein du même projet au Burkina Faso. Le Master 2 a véritablement été le portail de mon insertion professionnelle dans mon pays, une chance inouïe.

Par ailleurs, ce Master 2 m’a conféré un meilleur esprit critique et une position nettement plus pragmatique, qui m’insufflent des réflexions et des points de vue plus nuancés dans les débats urbains actuels. Personnellement, je me suis beaucoup réinterrogé sur le modèle de développement des villes au Burkina Faso et j’ai abouti à la formulation d’une théorie que j’ai appelée déconstructivisme urbain. Il s'est agit pour moi, de me réinterroger sur la pratique urbaine depuis la ville précoloniale à nos jours, une sorte de remise à plat, de déconstruction de tous ces concepts reçus de villes durables, de villes résilientes, intelligentes, vertes, écologiques, de villes éponges, de villes inclusives et j'en passe. Il s’agit de laisser libre cours à une pensée dénudée, plus féconde, productive et plus ouvertes aux possibilités, aux compromis, aux hybridations.

Et pour finir une petite anecdote sur l’EUP ?

Durant l’année 2022, je me suis lancé dans la rédaction d’un ouvrage de capitalisation de l’expérience des anciens urbanistes burkinabè. Je me suis rendu compte que le doyen des urbanistes burkinabè est un ancien de l’EUP. Ce dernier a fait parti des grands pionniers de l'urbanisme au Burkina Faso. Il a commencé ses études à l'école des Beaux Arts de Montpellier en 1968 pour finir en urbanisme à l'Institut d'Urbanisme et d'Aménagement de Paris en 1975. Au Burkina Faso, il a occupé de grands postes dont celui de Directeur du Premier Projet Urbain de Ouagadougou. J'ai été fasciné par son parcours, son expérience et l'écouter est un exercice passionnant, tant ses récits sont riches d'histoire, celle de l'évolution de la pratique de l'urbanisme au Burkina Faso.

Par ailleurs, il a été celui qui a introduit dans nos villes ici, le principe des pans coupés, les projets de restructuration mais aussi les principes de l'organisation des quartiers autour des espaces verts et qui caractérisent toujours tant de zones comme la patte d’oie, 1200 logements et les cités An I et II.

Vous percevrez donc à travers cette petite anecdote toute la dimension de l’impact de l’EUP à l’international. Bravo EUP !